À l’heure où l’exécutif annonce vouloir rouvrir le chantier de la décentralisation, plusieurs territoires rappellent que l’avenir institutionnel de la France se joue d’abord dans la capacité à faire confiance aux collectivités et à encourager l’expérimentation locale. L’enjeu n’est plus seulement juridique : il est démocratique.

Une décentralisation essoufflée qui cherche un nouveau souffle

Quarante ans après les grandes lois fondatrices, la promesse d’une République mieux articulée entre l’État et les territoires s’est progressivement affaiblie. L’imaginaire de la décentralisation s’est émoussé, la marge de manœuvre locale s’est rétractée et la confiance, pourtant au cœur du projet initial, s’est fragilisée. Alors que s’ouvre un nouveau cycle de réflexion nationale, de nombreux élus rappellent que la décentralisation n’est pas qu’un dispositif institutionnel, mais d’abord une méthode vivante : partir des besoins des habitants, privilégier la proximité et soutenir l’innovation issue du terrain. C’est cette culture de l’expérimentation, nourrie par des pratiques concrètes et des solutions émergentes, qui peut redonner du sens à l’action publique et réinstaller la confiance entre l’État, les collectivités et les citoyens.

L’innovation locale comme preuve de la capacité d’agir des territoires

Dans plusieurs départements ruraux, la réinvention de l’action publique repose sur une démarche participative et sur l’élaboration de politiques fondées sur le vécu réel des habitants. Les démarches de concertation à grande échelle, menées non comme un exercice formel mais comme une fabrique collective, ont permis de rapprocher la décision politique des attentes sociales et de replacer les citoyens au cœur des choix publics. Cette dynamique a donné naissance à des projets concrets : des dispositifs d’insertion fondés sur la dignité professionnelle, des initiatives de réappropriation alimentaire, des politiques locales de santé articulant centres médicaux, mobilité, attractivité médicale et partenariats avec le monde associatif. À travers ces expérimentations, souvent modestes mais profondément structurantes, les territoires démontrent leur capacité à devenir de véritables laboratoires démocratiques et sociaux.

Réinventer la relation entre l’État et les collectivités

Le recul de la contractualisation a profondément altéré la vitalité de la décentralisation. La multiplication des appels à projets, avec leurs logiques de compétition et leurs calendriers contraints, a progressivement remplacé les partenariats stables et prévisibles entre l’État et les territoires. Restaurer un esprit contractuel suppose de renouer avec une planification partagée, fondée sur la confiance, la lisibilité et la continuité dans les engagements. L’État pourrait retrouver un rôle de stratège et de garant de la cohérence nationale, tandis que les collectivités deviendraient des partenaires coresponsables d’une action publique co-construite. Cette méthode nécessiterait un cadre clair : un agenda quadriennal de négociation, un observatoire citoyen chargé d’évaluer les politiques publiques à l’échelle départementale, et une conférence régulière entre l’État et les collectivités, dotée d’un pouvoir d’arbitrage. Ce serait une véritable constitution locale de l’action publique, visant à replacer la coopération au centre du fonctionnement territorial.

Redonner sens et cohérence aux solidarités locales

Le Département demeure l’un des piliers de la solidarité républicaine. Pourtant, les politiques liées au quotidien — enfance, autonomie, insertion, grand âge — se heurtent aujourd’hui à une crise des moyens et à une perte de sens. Réarmer ces politiques implique de clarifier leur gouvernance et de renforcer la coordination entre acteurs institutionnels, associatifs et professionnels. La mise en place de conférences locales des solidarités permettrait de structurer cette coopération, d’harmoniser les pratiques et de garantir une réponse plus cohérente aux besoins des habitants. Mais cette ambition ne peut réussir sans un engagement durable de l’État et sans une autonomie financière réelle des collectivités, condition indispensable pour agir de manière stable et prévisible.

Vers un nouvel imaginaire démocratique

La décentralisation de demain ne peut se réduire à une réorganisation administrative. Elle doit s’appuyer sur des territoires capables d’innover, sur un État qui accepte de partager la décision et sur des citoyens reconnus comme acteurs légitimes de l’action publique. C’est dans cette alliance entre un État stratège, des collectivités partenaires et une société civile impliquée que peut s’écrire un nouvel acte décentralisateur. L’enjeu est autant institutionnel que démocratique : préserver la cohésion du pays en redonnant aux territoires les moyens d’agir et aux citoyens le pouvoir d’influencer leur avenir.