Un chantier majeur pour moderniser l’accès aux marchés publics

Le gouvernement poursuit son vaste chantier de simplification du code de la commande publique. Ce 10 novembre, la direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy a mis en consultation un projet de décret destiné à fluidifier les procédures, alléger les contraintes pour les acheteurs publics et faciliter la participation des petites et moyennes entreprises (PME).
Cette consultation, ouverte jusqu’au 25 novembre, s’inscrit dans le cadre du plan de simplification annoncé par le ministère de l’Économie pour 2026. Elle vise à recueillir les avis des acteurs du secteur public, des entreprises, et des fédérations professionnelles avant la publication du texte définitif.
Objectif affiché : rendre la commande publique plus rapide, plus accessible et plus transparente, sans sacrifier la sécurité juridique. Pour Bercy, cette réforme est une étape clé pour renforcer la compétitivité des entreprises françaises et accélérer les investissements locaux.
La commande publique, un levier économique sous tension
Chaque année, la commande publique représente près de 10 % du PIB français, soit plus de 200 milliards d’euros de contrats conclus entre les collectivités, les établissements publics et les entreprises privées. Mais derrière ces chiffres se cache une réalité plus complexe : les procédures sont souvent jugées trop lourdes, trop lentes et trop coûteuses, en particulier pour les PME.
Les acheteurs publics eux-mêmes dénoncent une suradministration paralysante. Entre les obligations de publicité, les délais de réponse, les critères de sélection et les contrôles multiples, les marges de manœuvre restent étroites.
Depuis plusieurs années, les réformes successives ont tenté d’assouplir le système. La loi Asap de 2020 avait déjà permis d’accélérer certains marchés de travaux. Mais le ministère de l’Économie souhaite désormais aller plus loin, en pérennisant les mesures temporaires mises en place pendant la crise sanitaire et en simplifiant les critères de participation pour les entreprises.
Une mesure phare : le relèvement du seuil sans publicité
La principale mesure proposée par la DAJ consiste à pérenniser la dispense de publicité et de mise en concurrence pour les marchés de travaux inférieurs à 100 000 euros hors taxe.
Concrètement, les acheteurs publics pourraient sélectionner directement un prestataire, sans passer par la procédure d’appel d’offres classique. Cette disposition, déjà temporairement en vigueur depuis 2020, serait rendue permanente à compter du 1er janvier 2026.
L’objectif est de réduire les délais et les formalités pour les petites opérations, souvent locales, où les procédures traditionnelles alourdissent inutilement la commande. Bercy défend cette mesure comme un moyen de soutenir la réactivité des collectivités, tout en maintenant des règles de transparence et d’équité.
Pour les PME, c’est une avancée considérable. Elles pourront plus facilement proposer leurs services sans être écartées par la complexité des appels d’offres. Les élus locaux y voient aussi un outil de dynamisation économique, permettant de faire travailler les entreprises du territoire plus rapidement.
Une réforme dans la continuité de la loi Asap
La réforme s’inscrit dans la continuité de la loi Asap (« Accélération et Simplification de l’Action Publique »), adoptée en 2020 pour soutenir la relance économique après la crise sanitaire. Cette loi avait introduit plusieurs dérogations, dont le relèvement temporaire des seuils de procédure.
Quatre ans plus tard, ces mesures se sont révélées efficaces, notamment pour les petites communes et les intercommunalités. Selon la DAJ, les acheteurs publics ont gagné en agilité, et les délais moyens de passation ont diminué de plus de 20 %.
Bercy souhaite donc transformer ces expérimentations en dispositifs permanents. Cette évolution s’accompagnera d’un travail de pédagogie et de formation à destination des agents publics, afin de garantir une application uniforme sur tout le territoire.
Simplifier l’accès des PME à la commande publique
Au-delà du relèvement des seuils, le projet de décret entend assouplir les critères de participation pour les PME. Trop souvent, ces dernières renoncent à répondre aux appels d’offres par manque de temps, de ressources administratives ou de garanties financières suffisantes.
Les nouvelles dispositions prévoient une réduction du nombre de pièces exigées lors du dépôt des candidatures. Les attestations fiscales et sociales, par exemple, pourraient être remplacées par une simple déclaration sur l’honneur, contrôlée a posteriori.
Autre mesure envisagée : l’assouplissement des critères d’expérience et de capacité financière, souvent inaccessibles aux petites structures. Les acheteurs publics seraient encouragés à valoriser davantage la qualité, l’innovation et la proximité, plutôt que le seul historique contractuel.
Pour Bercy, il s’agit de favoriser une commande publique plus inclusive, en donnant aux entreprises locales la possibilité de rivaliser avec les grands groupes.
Une refonte des délais et des procédures
Le projet de décret prévoit également de raccourcir les délais de passation et de simplifier la phase d’examen des offres. L’objectif est d’accélérer les projets, notamment dans les domaines du bâtiment, des travaux publics et de la transition énergétique.
Les acheteurs publics disposeront de nouveaux outils numériques pour publier leurs marchés, analyser les offres et notifier les attributions. Ces plateformes dématérialisées, déjà expérimentées dans plusieurs régions, permettront de réduire les erreurs administratives et de limiter les contentieux.
Bercy insiste sur la nécessité de réconcilier efficacité et sécurité juridique. Le texte réaffirme les principes fondamentaux du droit de la commande publique — égalité d’accès, transparence et libre concurrence — tout en introduisant davantage de flexibilité opérationnelle.
Des procédures adaptées à la transition écologique
Dans un contexte de transition énergétique, la commande publique devient aussi un outil stratégique pour soutenir les politiques environnementales. Le projet de décret intègre de nouvelles dispositions permettant d’introduire plus facilement des critères écologiques dans les marchés publics.
Les collectivités pourront privilégier les entreprises engagées dans des démarches de durabilité, de recyclage ou d’économie circulaire. Le texte encourage également le recours à des matériaux locaux et biosourcés, notamment pour les marchés de travaux.
Cette orientation répond à une demande forte des élus et des citoyens : faire de la commande publique un levier de la transition écologique, sans pour autant complexifier les procédures.
Une meilleure lisibilité du cadre juridique
L’un des reproches les plus fréquents formulés à l’encontre du code de la commande publique tient à sa complexité excessive. Le projet de Bercy vise donc à clarifier et harmoniser la rédaction des articles existants, en supprimant les redondances et en simplifiant le vocabulaire juridique.
Cette modernisation du texte doit permettre aux acheteurs publics de s’y retrouver plus facilement, sans devoir recourir systématiquement à une assistance juridique.
La DAJ annonce également la création d’un guide pratique actualisé, qui accompagnera la mise en œuvre du décret. Ce document, diffusé à l’ensemble des administrations et des entreprises, contiendra des fiches explicatives et des exemples de bonnes pratiques.
Une concertation nationale avant adoption
La consultation ouverte par Bercy jusqu’au 25 novembre constitue une phase essentielle de dialogue avec les acteurs du terrain. Les fédérations professionnelles, les associations d’élus et les représentants des entreprises sont invités à formuler leurs observations.
Selon la DAJ, les contributions recueillies serviront à ajuster le texte avant sa publication définitive. L’entrée en vigueur reste prévue pour le 1er janvier 2026, conformément au calendrier budgétaire.
Cette méthode participative illustre la volonté du gouvernement d’associer l’ensemble des parties prenantes à la refonte du cadre réglementaire. Elle marque aussi une évolution culturelle dans la manière de concevoir la norme administrative : plus pragmatique, plus ouverte, plus opérationnelle.
Un enjeu stratégique pour la relance économique locale
Pour les collectivités territoriales, cette réforme de la commande publique représente une opportunité concrète de dynamiser les territoires. En simplifiant les marchés de travaux et les procédures d’achat, les communes et intercommunalités pourront lancer plus rapidement leurs projets d’investissement.
Les chantiers d’entretien, de rénovation et de modernisation des équipements publics bénéficieraient directement de ces assouplissements. Les PME locales, souvent les premières à intervenir sur ce type de contrats, devraient y trouver un nouveau souffle économique.
Selon les premières simulations menées par la DAJ, le gain de temps moyen pour un marché de taille modeste pourrait atteindre jusqu’à six semaines. Ce délai raccourci se traduirait par une meilleure réactivité face aux urgences, notamment dans le logement social et les infrastructures de proximité.
Les craintes d’un relâchement du contrôle
Si la simplification séduit les élus et les entreprises, certains juristes redoutent une dérive vers une commande publique trop souple. Le relèvement du seuil sans publicité, en particulier, pourrait accroître les risques de favoritisme ou de manque de transparence.
Bercy assure avoir anticipé ces critiques. Les acheteurs publics resteront soumis à des obligations de traçabilité et à des contrôles a posteriori. Le décret prévoit d’ailleurs un renforcement des outils de suivi, avec la mise en place d’un registre numérique national recensant l’ensemble des contrats conclus.
Cette surveillance permettra de garantir que les marchés attribués respectent les principes de la commande publique, tout en limitant les dérives possibles.
Une première étape vers un nouveau modèle administratif
Pour le ministère de l’Économie, cette réforme ne constitue qu’une étape d’un processus plus large. Le gouvernement prépare déjà un second volet de simplification prévu pour 2027, qui portera sur la dématérialisation complète des marchés publics et sur la mutualisation des outils entre administrations.
L’ambition à long terme est claire : transformer la commande publique en un système plus fluide, plus accessible et plus adapté à l’économie numérique.
Les entreprises, notamment les start-up du secteur des services publics, pourraient tirer parti de cette modernisation pour proposer des solutions innovantes, tant dans la gestion des appels d’offres que dans le suivi des chantiers.
En conclusion : une commande publique en mutation
Avec ce projet de décret, Bercy confirme sa volonté de refonder en profondeur la commande publique française. Entre simplification des procédures, allègement des contraintes pour les PME et modernisation du cadre juridique, le texte s’inscrit dans une dynamique de réforme ambitieuse.
L’enjeu dépasse le seul cadre administratif. Il s’agit de redonner confiance aux acteurs économiques, d’encourager les entreprises à répondre davantage aux marchés publics et de renforcer la compétitivité du tissu local.
Mais cette simplification devra trouver son équilibre. Trop de flexibilité pourrait fragiliser la transparence, tandis qu’un excès de contrôle risquerait de freiner l’efficacité recherchée.
Dans les prochaines semaines, les consultations détermineront l’orientation finale du texte. Si le calendrier est respecté, les nouvelles règles entreront en vigueur le 1er janvier 2026, ouvrant une ère nouvelle pour la commande publique, plus agile, plus inclusive et plus lisible.


