Dans le détail des droits à pension, une vérité criante apparaît : les femmes sont lourdement pénalisées. Une étude récente révèle que les hommes perçoivent en moyenne une pension de retraite 62 % supérieure à celle des femmes. Cet écart très élevé éclaire un système de retraite français qui, non seulement reproduit les inégalités accumulées au cours de la vie, mais semble les amplifier. Au-delà des chiffres, c’est tout un pan de justice sociale qui se trouve questionné.
Une inégalité structurelle

Le constat est implacable : les femmes arrivent à la retraite avec une carrière plus morcelée, souvent interrompue ou fractionnée, tandis que les hommes bénéficient de trajectoires plus linéaires et donc mieux rémunérées. Ces disparités professionnelles se traduisent par des pensions bien plus faibles pour les femmes.
Les raisons de cet état de fait sont multiples.
Carrières hachées, salaires moindres
D’abord, les femmes sont beaucoup plus souvent concernées par le temps partiel ou les interruptions pour maternité ou pour s’occuper d’un proche. Ces carrières fragmentées entraînent des droits à la retraite réduits. En parallèle, l’écart salarial persistant tout au long de la vie active se répercute sur le montant des cotisations et donc sur la pension.
Ces deux effets combinés expliquent en grande partie pourquoi l’écart atteint 62 %.
Ensuite, le système actuel de calcul des pensions dans le secteur privé favorise les carrières longues et régulières : le fait de ne retenir que les 25 meilleures années ou d’exiger un nombre donné de trimestres conduit à tirer vers le bas les montants des pensions des femmes.
Enfin, même les dispositifs dits « compensateurs » — comme les majorations pour enfants, les pensions de réversion ou les droits familiaux — ne suffisent pas à combler l’écart.
Un système qui amplifie l’écart
Au lieu de corriger les écarts, le mécanisme de retraite les accentue. Le fait que les pensions soient directement liées aux cotisations — elles-mêmes liées aux salaires et à la durée de cotisation — crée un effet multiplicateur d’injustice.
Autrement dit, chaque différence de salaire ou d’interruption de carrière se répercute sur la retraite, et l’écart se creuse. Le constat est clair : le système ne se contente pas de refléter les inégalités, il les amplifie.
Le poids de la pension de réversion et du foyer
Pour de nombreuses femmes, la pension ne vient pas uniquement de leurs propres droits, mais d’une pension de réversion après le décès du conjoint. Cette situation, loin d’être un choix, traduit une dépendance économique prolongée.
Or cette pension de réversion reste encastrée dans des normes anciennes : elle est calculée à partir des droits de l’époux décédé, et non à partir d’une égalité entre les sexes. Résultat : même avec la réversion, l’écart de pension persiste, parfois de l’ordre de 25 % ou plus.
Par ailleurs, beaucoup de femmes retraitées continuent à prendre en charge des tâches invisibles : garde des petits-enfants, aide à un proche dépendant, bénévolat ou solidarité familiale. Cette « activité invisible » n’est pas reconnue financièrement, mais contribue à la fragilité des femmes âgées.
Des chiffres qui parlent
Voici quelques repères pour mieux comprendre l’ampleur du phénomène :
- L’écart de 62 % entre les pensions de droit direct des hommes et des femmes.
- Après prise en compte des mécanismes compensateurs (majorations, réversions), l’écart reste de 25 % à 28 %.
- Dans le secteur privé, l’écart est encore plus fort : dans ce cas-là, les femmes perçoivent en moyenne une pension bien inférieure à celle des hommes.
- Les femmes sont majoritaires parmi les retraités « modestes » : par exemple, 75 % des personnes percevant moins de 1 000 € par mois sont des femmes.
- Les femmes atteignent le niveau de pension « normal » (taux plein) plus tard que les hommes, et attendent souvent plus longtemps pour pouvoir partir à la retraite sans décote.
Ces repères montrent que l’écart ne se réduit pas automatiquement avec le temps ; il faut une intervention ciblée.
Les conséquences sociales et budgétaires
L’écart de pension a des conséquences concrètes sur la vie des retraitées.
D’abord, sur le plan de la pauvreté : une part significative des femmes de plus de 75 ans vivent sous le seuil de pauvreté, alors que cette proportion est plus faible pour les hommes. Le fait de percevoir une faible pension oblige parfois à un recours accru à l’assistance sociale, à des associations d’aide ou à des restrictions de vie.
Ensuite, sur le plan budgétaire, l’État et les régimes de retraite sont confrontés à une double contrainte : celle de garantir un niveau de pension décent tout en maîtrisant le coût des politiques de compensation. Les majorations familiales et les dispositifs d’aide complémentaire coûtent cher, et leur efficacité reste limitée sur la réduction de l’écart.
En outre, le phénomène pose un défi de justice sociale : que vaut-ce qu’un système auquel on contribue soit aussi peu équitable à l’arrivée ?
Pourquoi le système résiste-t-il à la réforme ?
Malgré la reconnaissance du problème, les réformes tardent. Plusieurs freins expliquent cette inertie :
- Complexité des régimes de retraite
Le système français de retraite est constitué de multiples régimes (régime général, fonction publique, régimes spéciaux, complémentaires). Chacun a ses règles, ses droits familiaux, ses majorations. Harmoniser tout cela pour traiter l’inégalité hommes-femmes est un chantier de longue haleine. - Coût politique et budgétaire
Modifier les règles pour corriger l’écart implique des coûts supplémentaires (majorations dès le premier enfant, prise en compte accrue des interruptions de carrière, augmentation des droits pour les aidants). Cela nécessite des arbitrages dans un contexte de contrainte budgétaire forte. - Inertie culturelle et sociale
Le système a été construit dans une vision traditionnelle du travail et de la famille. Il repose sur l’idée d’un foyer monoactif masculin et d’une femme au foyer ou en temps partiel. Les évolutions des parcours de vie tardent à être pleinement intégrées. - Données et pilotage insuffisants
Le manque de données détaillées et l’absence d’évaluation exhaustive des politiques publiques en matière d’égalité retrait-active réduisent la pression pour un changement radical.
Vers quels leviers de réforme ?
Pour réduire cet écart abyssal, plusieurs pistes ressortent :
- Majorations pour enfant dès le premier enfant : plutôt que d’attendre le troisième enfant pour accorder une majoration de pension, l’idée consiste à attribuer une majoration dès le premier enfant, et de façon progressive.
- Reconnaissance du temps partiel subi ou des interruptions de carrière : valoriser les périodes de soin, de maternité ou de temps partiel dans le calcul de la pension.
- Encouragement de la carrière féminine et du temps plein : incitations pour les femmes à avoir des carrières plus longues, plus régulières, et pour les entreprises à réduire les temps partiels subis.
- Amélioration de la transparence et de l’égalité salariale : combler l’écart salarial reste une composante essentielle pour réduire l’écart de pension à long terme.
- Politique publique dédiée à la pension des femmes isolées : les femmes divorcées, en situation de monoparentalité ou d’aidance sont particulièrement vulnérables. Un dispositif spécifique pourrait mieux protéger cette catégorie.
Impact sur la réforme des retraites en cours
La question de l’égalité entre les sexes entre dans le débat de toute réforme du système de retraite. L’enjeu n’est plus seulement de repousser l’âge ou d’équilibrer les comptes, mais de garantir un système juste pour tous.
Les discussions actuelles doivent intégrer le prisme « genre » : comment un même montant de pension peut-il être équitable indépendamment du genre ? Comment une femme ayant une carrière interrompue pour maternité ne peut-elle pas être doublement pénalisée ?
Pourquoi cet écart de 62 % est-il un signal d’alerte ?
Cet écart n’est pas simplement un mauvais chiffre parmi d’autres : il révèle un dysfonctionnement systémique.
- Il annonce que de nombreuses femmes retraitées auront des ressources faibles, une autonomie limitée, et seront exposées à des risques de précarité.
- Il montre que les politiques de compensation actuelles sont insuffisantes pour régler le problème à la racine.
- Il alerte sur le fait que l’égalité professionnelle ne peut pas être traitée après coup, mais doit être considérée dans la réforme du système de retraite.
- Il rappelle que les trajectoires féminines ne sont pas les trajectoires masculines : un système qui ne s’en tient qu’à la moyenne masculine pénalise tôt ou tard.
À l’horizon : quelles générations sont concernées ?
Les femmes nées dans les générations plus récentes pourraient bénéficier d’un effet légèrement atténué si des réformes intervenaient. Toutefois, pour les générations nées dans les années 1950 à 1970, la donne est déjà faite : leurs pensions sont déterminées par des carrières déjà réalisées, souvent marquées par des interruptions. Elles subissent aujourd’hui l’écart.
En clair : l’urgence concerne celles-ci, mais la réflexion doit aussi être prospective pour éviter que les prochaines ne soient dans la même situation.
Témoignages et réalités terrain
Derrière les chiffres, il y a des vies : des femmes qui ont mis leur carrière entre parenthèses pour s’occuper d’un proche, ou qui ont enchaîné des petits emplois pour concilier vie familiale et professionnelle. Ces parcours, souvent invisibles dans la force de travail, se traduisent à la retraite par des pensions modestes.
Des associations spécialisées font remonter que de nombreuses retraitées doivent continuer à travailler, même à 65 ans passés, ou réduire leurs dépenses au strict minimum. Le constat est implacable : la retraite est loin d’être une période de tranquillité pour beaucoup.
L’enjeu pour les finances publiques et la cohésion sociale
Si de nombreuses femmes retraitées sont en situation précaire, l’État assume déjà, indirectement, une part du coût : aides sociales, logement social, accompagnement des personnes âgées. Ainsi, réparer les inégalités n’est pas uniquement une question de justice : c’est aussi un levier de rationalité économique et de cohésion sociale.
Un système juste renforce la confiance dans les institutions : quand chacun perçoit que le système est équitable, la légitimité est renforcée. À l’inverse, laisser perdurer un écart abyssal creuse le sentiment d’injustice.
Que retenir ?
La retraite d’une femme ne peut plus être envisagée comme une version réduite de celle d’un homme. Le système actuel le prouve : il ne compense pas assez.
Cet écart de 62 % n’est pas une fatalité : des pistes existent. Mais sa prise en compte exige un changement de cap, tant dans les politiques d’emploi que dans les règles de pension.
Pour les femmes d’aujourd’hui et de demain, c’est une question d’autonomie, de dignité, de reconnaissance du travail — rémunéré ou invisible — qu’elles ont assumé. Le temps est venu de faire que la retraite soit aussi un moment de dignité et de sécurité pour toutes.


