Un voisin peut-il installer une caméra de surveillance sur son terrain traversé par un chemin de servitude emprunté par ses voisins ? La justice vient de trancher : filmer un espace partagé n’est pas un droit absolu, même lorsqu’il s’agit de sa propre propriété. Cette affaire, remontée jusqu’à la Cour de Cassation, vient clarifier des années d’incertitude sur la vidéosurveillance entre particuliers.
Une affaire banale devenue un symbole du droit à la vie privée

Tout est parti d’un différend entre voisins dans une commune rurale. L’un d’eux avait installé une caméra sur sa parcelle, orientée vers un chemin servant de passage commun. Ce chemin, utilisé quotidiennement par plusieurs riverains pour accéder à leurs habitations, se trouvait sur un terrain soumis à une servitude de passage.
Rapidement, les voisins se sont sentis épiés. Ils ont estimé que cette caméra portait atteinte à leur vie privée. Le propriétaire, lui, soutenait qu’il cherchait simplement à sécuriser son terrain. L’affaire a été portée en justice, jusqu’à atteindre la plus haute juridiction française.
Ce que la justice a décidé
La Cour de Cassation a rappelé un principe fondamental : un propriétaire ne peut pas installer un dispositif de surveillance qui filme, même partiellement, un espace utilisé par d’autres personnes sans leur accord.
Selon la décision, le fait de capter des images de personnes utilisant un passage commun ou un chemin de servitude constitue une atteinte au droit à la vie privée. Ce droit, protégé par le Code civil, s’applique dès qu’une personne peut être identifiée, peu importe l’endroit filmé.
Ainsi, même si la caméra est placée sur une propriété privée, son orientation et son champ de vision déterminent sa légalité.
La limite entre sécurité et intrusion
Les juges rappellent qu’il existe une frontière claire entre le besoin de sécurité et le respect de la vie privée.
Installer une caméra sur son terrain n’est pas interdit, à condition qu’elle ne filme pas un espace accessible ou utilisé par d’autres. Dès qu’une caméra enregistre un lieu partagé — comme un passage commun, une allée d’immeuble ou un chemin de servitude — elle devient problématique.
Le propriétaire ne peut pas justifier une surveillance totale au nom de la protection de son bien. L’argument de sécurité ne suffit pas s’il empiète sur les droits des voisins.
Ce que cela change pour les particuliers
Cette décision met fin à une zone grise. Beaucoup de propriétaires pensaient pouvoir filmer leur portail, leur entrée ou leur chemin d’accès sans contrainte. Dorénavant, si ce passage est emprunté par d’autres, la caméra devra être repositionnée.
Les particuliers doivent donc vérifier :
- L’orientation exacte de la caméra ;
- Le champ de vision, notamment s’il couvre une zone fréquentée par d’autres ;
- La finalité de la surveillance (simple dissuasion ou enregistrement permanent).
S’ils filment des tiers, ils s’exposent à une action en justice pour atteinte à la vie privée et à une obligation de retirer le dispositif.
La notion clé de « trouble manifestement illicite »
La Cour considère que filmer un chemin de servitude ou une voie commune sans autorisation constitue un trouble manifestement illicite. Cela signifie que le juge peut ordonner la suppression immédiate de la caméra, sans attendre un procès long et complexe.
Ce principe protège la tranquillité des habitants et évite les conflits prolongés. Même en l’absence de diffusion publique des images, le simple fait d’être filmé à son insu dans un espace de passage est jugé contraire à la loi.
Des exemples concrets de situations similaires
- Dans un lotissement, une caméra orientée vers une allée commune utilisée par plusieurs résidents peut être considérée comme intrusive.
- Dans un immeuble, une caméra dirigée vers un couloir ou une cour partagée entre voisins est interdite.
- Sur un terrain rural, un propriétaire ne peut pas filmer le chemin de servitude permettant à un voisin d’accéder à sa maison.
Dans tous ces cas, la logique reste la même : dès lors qu’un tiers est identifiable, la captation devient une atteinte au respect de la vie privée.
Que faire si votre voisin vous filme sans droit ?
Si vous pensez être filmé illégalement, plusieurs démarches sont possibles :
Commencez par dialoguer avec votre voisin. Expliquez calmement que le dispositif viole votre intimité.
Si rien ne change, vous pouvez lui adresser un courrier recommandé demandant le retrait ou la réorientation de la caméra.
En cas de refus, il est possible de saisir le juge en référé. Celui-ci peut ordonner la suppression du dispositif et, dans certains cas, accorder des dommages et intérêts.
Il est conseillé de conserver des preuves : photographies du dispositif, plan du terrain, témoignages d’autres voisins.
À l’inverse, dans quels cas la caméra est autorisée ?
Un propriétaire a le droit de protéger son domicile. Il peut installer une caméra :
- Si elle filme uniquement son espace privé (cour, jardin, entrée personnelle) ;
- Si son champ de vision ne déborde pas sur une voie publique ou commune ;
- Si les images ne sont pas utilisées à des fins autres que la sécurité.
L’installation devient illégale dès qu’elle capte un espace partagé ou une portion de terrain accessible à d’autres.
Une jurisprudence qui fait référence
Cette affaire crée un précédent important. Elle servira désormais de base à d’autres décisions de justice. Les juges ont confirmé que la vidéosurveillance entre particuliers ne pouvait pas servir de prétexte à une surveillance généralisée du voisinage.
Elle rappelle aussi que la technologie — caméras connectées, enregistrements automatiques, stockage en ligne — doit s’accompagner d’un sens des responsabilités.
Le respect de la vie privée s’impose même sur un espace non clos, dès lors qu’il est emprunté par plusieurs personnes.
Le rôle du juge des référés
Le juge des référés joue ici un rôle central. En cas d’urgence, il peut ordonner la suppression du dispositif sans qu’il soit nécessaire de prouver un préjudice moral ou financier.
Cette rapidité de décision protège les voisins contre des installations abusives. Elle évite que les litiges de voisinage ne s’enlisent dans de longs procès.
Comment prévenir les conflits de voisinage
Avant toute installation, il est conseillé d’informer ses voisins et de leur montrer l’emplacement de la caméra. Une simple discussion suffit souvent à éviter les malentendus.
Privilégier des dispositifs limités à sa propriété, éviter les angles ouverts sur les chemins partagés et ajouter une signalisation visible permettent de rester dans la légalité.
Les conflits liés à la vidéosurveillance figurent parmi les plus fréquents en matière de voisinage. Une bonne communication reste la meilleure prévention.
Vers un encadrement plus strict de la surveillance privée
Les autorités envisagent de renforcer la réglementation autour des caméras domestiques. L’objectif : encadrer davantage l’utilisation des systèmes connectés et éviter leur dérive vers une surveillance permanente.
La démocratisation des technologies de sécurité — caméras Wi-Fi, sonnettes connectées, détecteurs intelligents — rend nécessaire un rappel constant : la liberté de protéger son bien s’arrête là où commence le droit d’autrui à ne pas être filmé.
La décision récente de la Cour de Cassation met fin à une ambiguïté : protéger son domicile ne signifie pas surveiller les autres. Filmer un passage commun, même au nom de la sécurité, est désormais clairement interdit. Cette jurisprudence pose un principe simple mais essentiel : la tranquillité de chacun reste un droit, même sous l’œil des caméras.


