Le constat est alarmant. Selon le ministre de l’Éducation nationale, Édouard Geffray, près de 42 000 enfants en situation de handicap étaient encore privés d’accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH) à la Toussaint 2025. Un chiffre qui illustre la crise structurelle de l’accompagnement scolaire des élèves à besoins particuliers, et qui provoque la colère des familles, des enseignants et des collectifs d’AESH.

Un déficit persistant malgré les recrutements

La scolarisation pour les enfants handicapés demeure un parcours périlleux
La scolarisation pour les enfants handicapés demeure un parcours périlleux, en raison d’un manque d’établissements adaptés

À la rentrée 2025, la France comptait environ 350 000 enfants disposant d’une notification de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) pour bénéficier d’une aide humaine à l’école. Parmi eux, 50 000 n’avaient pas obtenu d’accompagnant lors de la reprise des cours en septembre.

Selon le ministère, ce chiffre a légèrement reculé pour atteindre 42 000 élèves sans solution à la mi-octobre. Une amélioration marginale, mais qui reste loin des besoins réels. En un an, le nombre d’enfants privés d’aide humaine a même augmenté de 6 000, alors que le gouvernement assure avoir recruté plus de 6 000 AESH supplémentaires depuis la rentrée 2024.

Les associations dénoncent une “course derrière les chiffres” : le nombre d’enfants reconnus handicapés progresse plus vite que les moyens humains déployés pour les accompagner.

Des familles à bout de patience

Pour de nombreux parents, la situation est devenue intenable. Certains enfants ne peuvent pas fréquenter l’école à temps plein, d’autres sont totalement exclus de la scolarité faute de soutien adapté. Les familles multiplient les recours auprès des MDPH, des rectorats et des tribunaux administratifs.

Dans certaines académies, des élèves doivent partager un même accompagnant, réduisant drastiquement la qualité du suivi. “Mon fils est autiste et a besoin d’un encadrement constant. L’AESH le voit deux heures par jour, c’est insuffisant”, confie une mère membre du collectif Handicap à l’école pour tous.

Les conséquences sont lourdes : retards d’apprentissage, décrochage scolaire, isolement social et perte de confiance. Plusieurs associations ont annoncé leur intention de saisir à nouveau le Défenseur des droits pour dénoncer une “discrimination systémique dans l’accès à l’éducation”.

Des AESH épuisés et précarisés

Derrière ces chiffres se cachent aussi les conditions de travail dégradées des accompagnants eux-mêmes. Le collectif AESH en action dénonce des emplois mal payés, des temps partiels imposés et un manque de reconnaissance.

La profession compte aujourd’hui près de 145 000 agents, dont la majorité en contrat à durée déterminée, rémunérés en moyenne 1 050 euros nets par mois pour un emploi souvent morcelé entre plusieurs établissements.

“Nous sommes la colonne vertébrale de l’école inclusive, mais nous restons les oubliés du système”, déplore une AESH travaillant dans l’académie de Lille. Les syndicats évoquent une fuite du personnel : de nombreux accompagnants quittent la fonction faute de stabilité et de perspectives de carrière.

Des dispositifs collectifs qui peinent à convaincre

Pour pallier le manque de personnel, le ministère a renforcé le recours aux Pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL), censés mutualiser les AESH entre plusieurs écoles ou établissements. Mais sur le terrain, ce système est critiqué pour sa rigidité et sa logique de gestion plutôt que d’accompagnement.

Les enseignants et les familles dénoncent une perte de continuité pour les enfants, les accompagnants changeant régulièrement d’élève ou de lieu d’affectation. Le sentiment d’abandon s’étend jusque dans les équipes éducatives, confrontées à des situations d’urgence sans moyens suffisants.

Dans plusieurs académies, les inspections constatent une désorganisation chronique : retards de notifications, recrutements tardifs, absence de formation initiale et difficultés à trouver des candidats dans les zones rurales.

Une promesse d’école inclusive mise à l’épreuve

Lancée en 2017, la politique de l’école inclusive devait garantir à chaque enfant handicapé une scolarisation ordinaire, avec l’appui d’un accompagnant si nécessaire. Huit ans plus tard, la promesse reste loin d’être tenue.

Les besoins explosent : en dix ans, le nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés dans les écoles ordinaires a doublé, passant de 210 000 à près de 430 000. Le système peine à suivre.

Les rapports parlementaires se succèdent et dressent le même constat : des moyens humains sous-dimensionnés, une gestion administrative lourde et une absence de coordination entre l’Éducation nationale, les MDPH et les services médico-sociaux.

Le député Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur de la commission d’enquête sur la santé mentale et le handicap, alerte : “Nous avons laissé se creuser un fossé entre les ambitions de l’école inclusive et la réalité du terrain.”

Le gouvernement promet une refonte du dispositif

Auditionnée le 28 octobre devant la commission d’enquête, la ministre déléguée à l’Éducation inclusive, Charlotte Parmentier-Lecocq, a reconnu “des difficultés persistantes d’affectation” et promis un plan de refondation du métier d’AESH d’ici la rentrée 2026.

Ce plan devrait comporter :

  • la création d’un statut unique pérenne pour mettre fin à la précarité des contrats,
  • une revalorisation salariale progressive,
  • la mise en place d’un parcours de formation certifiant,
  • et un recrutement anticipé avant la rentrée pour éviter les affectations tardives.

Le gouvernement affirme également vouloir renforcer la coopération entre l’Éducation nationale et les collectivités territoriales, notamment pour la gestion du transport scolaire et l’adaptation des locaux.

Une rentrée 2026 sous surveillance

Les syndicats et les associations attendent des actes concrets. “Les annonces ne suffisent plus. Tant que les AESH seront payés au Smic et contraints de jongler entre trois écoles, la crise continuera”, martèle le collectif AESH en colère.

Du côté des familles, la patience s’épuise. Beaucoup se tournent vers l’enseignement privé spécialisé ou choisissent la déscolarisation temporaire. Certains n’hésitent plus à alerter les médias pour faire valoir leurs droits.

Le ministre Édouard Geffray a promis une amélioration dès la prochaine rentrée, tout en appelant à la patience et à la mobilisation collective. “Nous devons tenir la promesse de l’école inclusive. Aucun enfant ne doit être laissé sans solution”, a-t-il déclaré devant les députés.

Mais pour les parents, les enseignants et les accompagnants, cette promesse reste, pour l’instant, une ambition plus qu’une réalité. L’école inclusive, censée être un modèle d’équité et de solidarité, se heurte encore à la dureté des chiffres : 42 000 enfants sans AESH, et des milliers d’autres accompagnés de manière insuffisante.