C’est devenu un symbole fort du combat pour l’égalité salariale. Selon les calculs de la newsletter féministe Les Glorieuses, les femmes françaises commencent à « travailler gratuitement » à partir de 11h31 ce lundi, et ce jusqu’à la fin de l’année. En cause : un écart moyen de 14,2 % entre les salaires des femmes et ceux des hommes à temps de travail équivalent, d’après les dernières données de l’Insee.

Derrière cette date et cette heure symboliques se cache une réalité persistante : malgré des décennies de politiques publiques et de discours sur la parité, l’égalité salariale entre les sexes reste encore un objectif lointain.

Une date symbolique, un message politique

Salariés dans un bureau, ambiance professionnelle et lumineuse.

Chaque année, Les Glorieuses publient cette date pour illustrer de manière concrète les écarts de rémunération. Le principe est simple : si les hommes et les femmes travaillaient le même nombre d’heures dans l’année, l’écart de salaire moyen équivaudrait à ce que les femmes cessent d’être payées à partir de la mi-novembre.

En 2025, la coupure tombe précisément le 11 novembre à 11h31. À partir de ce moment, et jusqu’au 31 décembre, les femmes travailleraient donc symboliquement « pour rien ». L’objectif est de rappeler, chiffres à l’appui, que les inégalités restent ancrées dans le marché du travail français.

Selon l’Insee, les femmes gagnent 14,2 % de moins que les hommes à temps de travail identique, un écart qui se creuse encore davantage lorsqu’on intègre les temps partiels, occupés à plus de 80 % par des femmes.

Un progrès au ralenti

Depuis 2016, l’écart salarial global s’est réduit de 15,1 % à 14,2 %, soit moins d’un point en huit ans. À ce rythme, il faudrait 142 ans pour atteindre la parité salariale complète, soit en 2167. Une projection qui en dit long sur la lenteur des évolutions, malgré la multiplication des plans d’égalité et des obligations légales.

Cette stagnation s’explique par plusieurs facteurs :

  • la sous-représentation des femmes dans les postes à haute responsabilité,
  • la prévalence des temps partiels subis,
  • la moindre valorisation des métiers féminisés (santé, éducation, social, commerce),
  • et les effets de plafond de verre qui freinent les carrières féminines dans le secteur privé comme dans le public.

Les écarts de rémunération s’installent dès le premier emploi et s’amplifient avec le temps. En moyenne, une femme cadre gagne encore plus de 700 euros de moins par mois qu’un homme du même niveau hiérarchique.

Une transparence salariale renforcée dès 2026

L’une des évolutions les plus attendues concerne la transparence salariale, imposée à partir de 2026 avec la transposition en droit français d’une directive européenne adoptée en 2023.

Cette mesure obligera les entreprises à communiquer les grilles de salaires, les critères de rémunération et les écarts constatés entre les sexes. Les salariés pourront ainsi comparer plus facilement leur niveau de rémunération à celui de leurs collègues occupant des fonctions équivalentes.

Les entreprises de plus de 100 salariés devront publier un index de transparence précis, sous peine de sanctions financières. L’objectif est de rendre les écarts visibles et donc, plus difficilement justifiables.

Pour Les Glorieuses, cette réforme représente un tournant : « Dans les pays comme l’Islande ou la Suède, la transparence salariale est en vigueur depuis des décennies. Les écarts de salaires y sont devenus un non-sujet », explique Rebecca Amsellem, fondatrice de la newsletter.

Des propositions pour accélérer la convergence

Au-delà de la transparence, Les Glorieuses appellent à des mesures structurelles. Parmi leurs propositions phares :

  • revaloriser les métiers à forte proportion féminine, souvent situés dans les secteurs du soin, de l’enseignement ou du commerce de proximité,
  • instaurer un congé post-naissance identique pour les deux parents, afin d’éviter que les femmes soient systématiquement pénalisées par les interruptions de carrière,
  • conditionner les marchés publics et les subventions au respect de l’égalité salariale dans les entreprises bénéficiaires.

Cette dernière mesure, déjà appliquée dans certains pays scandinaves, garantirait que l’argent public ne finance pas les inégalités privées. Elle obligerait les entreprises à se conformer à des critères stricts pour obtenir des contrats ou des aides.

Des inégalités plus marquées dans certains secteurs

Si les écarts de salaires persistent dans la plupart des branches, certaines affichent des disparités plus importantes. Les secteurs de la finance, de l’informatique et de l’industrie restent les plus inégalitaires, avec des différences pouvant dépasser 20 %.

À l’inverse, les domaines à majorité féminine, comme la santé ou l’éducation, présentent des écarts plus faibles, mais souffrent d’un niveau de rémunération globalement plus bas. En d’autres termes, les femmes y sont majoritaires, mais dans des métiers structurellement moins valorisés.

La situation est encore plus préoccupante pour les femmes précaires, contractuelles ou indépendantes, souvent exclues des négociations salariales collectives.

Des effets concrets sur la vie quotidienne

Ces inégalités ne se limitent pas à la fiche de paie. Elles ont des conséquences directes sur l’ensemble du parcours de vie des femmes :

  • des retraites inférieures de près de 30 % en moyenne,
  • une capacité d’épargne et d’investissement réduite,
  • une plus grande exposition à la précarité, notamment en cas de séparation ou de monoparentalité.

Pour les militantes féministes, la question salariale est donc autant économique que sociale et politique. « L’égalité salariale n’est pas un luxe moral, c’est une nécessité économique. Elle permettrait d’augmenter le pouvoir d’achat global et de soutenir la consommation », rappellent Les Glorieuses.

Une mobilisation européenne

La France n’est pas isolée. Dans plusieurs pays européens, des collectifs citoyens organisent des campagnes similaires. En Allemagne, les femmes travaillent symboliquement “gratuitement” à partir de mi-novembre, tandis qu’en Espagne et en Belgique, des journées nationales de sensibilisation mettent en avant les écarts de rémunération.

La directive européenne sur la transparence des salaires, votée en 2023, a pour ambition d’harmoniser les pratiques et d’imposer aux États membres des objectifs concrets de réduction des écarts d’ici la fin de la décennie.

Le long combat pour l’égalité réelle

Malgré des progrès législatifs, la lenteur du changement suscite frustration et impatience. Les organisations féministes dénoncent une “égalité théorique”, encore loin d’être appliquée dans les faits. Les politiques publiques, souvent fragmentées, peinent à corriger les inégalités structurelles liées au genre, à la parentalité et aux représentations sociales.

Pour Rebecca Amsellem, “le vrai levier du changement viendra des entreprises elles-mêmes, à condition que la transparence salariale crée une pression sociale suffisante”.

Le symbole du “11h31” rappelle, chaque année, que le chemin vers l’égalité salariale reste long. Mais il souligne aussi la prise de conscience croissante d’une société qui refuse désormais de considérer ces écarts comme une fatalité.

À défaut de changer immédiatement les chiffres, cette heure symbolique a au moins le mérite d’imposer le sujet dans le débat public — et de rappeler que le temps, lui aussi, a un prix.