Interview de Maître Benoît Santoire, Vice-Président de la Chambre Nationale des Commissaires de Justice, section huissier de justice, administrateur de biens à Verdun.
Maître, pouvez-vous nous expliquer votre activité actuelle et ses possibilités d’évolution ?
Benoît Santoire : En tant qu’huissier de justice, j’ai la possibilité d’exercer l’activité d’administrateur de biens, parmi d’autres activités dites « accessoires » de syndic de copropriété ou de mandataire d’intermédiaire d’assurances. J’ai commencé à exercer cette activité d’administrateur d’immeubles en reprenant l’activité de mon prédécesseur, il y a une vingtaine d’années. Lui-même avait répondu à la demande de certains bailleurs privés qui avaient besoin de garantir le paiement de leurs loyers. En raison de mon goût pour le secteur social, j’ai trouvé que cette mission était un excellent levier d’ancrage de mon activité d’huissier de justice sur le territoire de Verdun. Une zone semi-rurale de 18.000 habitants.
A ce jour, sur plus de 3.000 huissiers de justice en France, nous sommes environ 700 à exercer cette activité « accessoire ». Il y a encore quelques années, nous étions à peine la moitié. Outre notre rôle de référent de proximité, nous proposons en amont des services pour gérer correctement un bien. Ce que beaucoup de propriétaires ont du mal à faire eux-mêmes. Lorsqu’ils veulent, par exemple, s’assurer de la solvabilité d’un locataire, gérer des sinistres, ou choisir une garantie efficace contre les loyers impayés. D’autant plus que la réglementation s’est récemment complexifiée, avec la mise en application de la loi ALUR.
Comment parvenez-vous à cumuler vos différents rôles ?
Assez naturellement, car il s’agit d’activités accessoires. Notre métier évolue et s’enrichit. Nous deviendrons bientôt commissaires de justice, à l’issue de notre rapprochement avec les commissaires-priseurs judiciaires. En effet,nous prenons en charge de plus en plus de solutions dédiées à l’amiable. Nous nous sommes par exemple fortement positionnés dans le domaine de la médiation conventionnelle et judiciaire. Cette évolution met aussi en relief notre rôle social et toute l’importance de notre maillage territorial. En toute logique, cela m’a amené progressivement à travailler davantage avec des collectivités pour gérer, entre autres, leur parc immobilier. Cette gestion peut être très lourde et complexe pour les maires. Notamment, ceux de petites et moyennes collectivités. A tel point que certains cherchent parfois à vendre leur patrimoine, pour ne plus avoir à s’en occuper.
Ce n’est que depuis environ six ans qu’une collectivité peut confier à une structure privée la gestion des immeubles qu’elle possède. Auparavant, l’encaissement des loyers était géré par le Trésor public. Après de nombreux avertissements des sénateurs sur les difficultés des collectivités, le législateur a modifié le Code général des Collectivités territoriales. Ainsi, grâce à des mandats de gestion, soumis à l’accord du Trésor public, les huissiers de justice peuvent maintenant exercer cette nouvelle activité au profit des collectivités. Cela a mis du temps avant que les élus se familiarisent avec cette possibilité nouvelle. Il s’agit d’une opportunité encore relativement récente, dont ils n’appréhendent pas forcément aujourd’hui toutes les facettes et le potentiel. A mes débuts, ce décret d’application était parfois même inconnu de certains services du Trésor public.
Pour un maire, quels sont les avantages d’utiliser les services d’un Huissier de Justice ?
Pour un édile, avoir recours à mes compétences d’huissier de justice a de multiples intérêts. Par exemple, celui de disposer d’un interlocuteur privilégié ainsi que la garantie de recouvrer ses loyers et ses charges. Cela lui permet également de bénéficier d’une gestion optimisée des biens communaux. Enfin, et surtout, cela le dispense d’utiliser une régie.
faut savoir que la structure juridique d’une régie, qui est une délégation de service public donnée par une commune, est généralement compliquée. Il faut prendre le temps de bien expliquer tous les avantages de l’offre que nous portons. Par exemple, j’ai participé avec une trésorière à une réunion organisée par le sous-préfet de Verdun. Réunion destinée à clarifier l’application du décret de 2014. Cela a également permis de préciser tout l’intérêt pour Verdun de recourir à une gestion du parc immobilier par un juriste de proximité, qui s’appuie sur une vraie connaissance du tissu économique et social.
Quelle conséquence a eu l’officialisation de cette nouvelle activité sur votre travail ?
Très rapidement, les premiers maires des petites communes rurales avec lesquels j’étais en contact ont parlé de ma nouvelle activité à d’autres maires. De ce fait, j’ai été de plus en plus sollicité. Cela m’a progressivement amené à gérer environ 500 lots, avec une employée à plein temps. Aujourd’hui, je m’occupe de la gestion des immeubles de la ville de Verdun et de sa périphérie. Ce qui représente environ 300 communes.
Ma spécialité est devenue les logements sociaux, ainsi que la gestion de maisons de santé pluridisciplinaires. Actuellement, les communautés de communes viennent à ma rencontre. Elles m’indiquent que c’est compliqué pour elles de réaliser des baux, de gérer des états des lieux et d’encaisser des loyers. Elles ont donc besoin de s’appuyer sur une expertise sécurisante dans ces différents domaines.
Pour conclure, à quel développement d’activité pour un Huissier de Justice vous attendez-vous ?
En 2021, tous mes confrères pourraient exercer cette nouvelle activité accessoire d’administrateur de biens. Et cela, sur tout le territoire, compte tenu du maillage territorial de notre profession.
D’ailleurs, cette caractéristique m’amène aujourd’hui à développer des formations spécifiques. Elles marchent très bien, car elles sont tout de suite applicables. Les maires sont très attachés au fait de pouvoir échanger avec un intervenant enraciné qu’ils connaissent bien. Et qui est très sensibilisé aux problématiques de leur territoire. Il faut juste qu’ils aient la possibilité de disposer des informations requises pour bien comprendre et se rendre compte du potentiel d’optimisation que notre offre représente.
Actuellement, nous tentons donc de la promouvoir au niveau de l’Ordre national de notre profession. Notamment, avec l’Association des Maires Ruraux de France et d’autres relais d’information. Si les élus prennent le temps de bien entendre et d’assimiler les différentes dimensions de notre offre, ils comprendront qu’elle représente un atout déterminant pour leurs collectivités. C’est pourquoi je pense que cette activité peut avoir encore un fort développement à l’échelle nationale, si les conditions d’écoute sont réunies.
Propos recueillis par Thierry Dulac-Avril 2021