L’océan s’invite désormais loin des côtes. À Munich, Madrid, Dubaï ou Sydney, les surf parks, ces bassins géants où déferlent des vagues artificielles programmées à la seconde près, séduisent un public de plus en plus large. Ces installations, qui promettent aux surfeurs amateurs comme confirmés des sessions sans risques ni aléas climatiques, incarnent une nouvelle facette du sport outdoor : sécurisée, encadrée et payante. Mais ce succès croissant suscite aussi des critiques environnementales et sociales, notamment en Europe.

Le surf sans mer, un concept en vogue

Le concept n’a plus rien d’expérimental. Ces immenses piscines à vagues reproduisent le mouvement de l’océan grâce à des systèmes mécaniques — pales hydrauliques, pompes à air comprimé ou moteurs à palettes. Le principe : produire une vague “parfaite”, répétable et modulable, adaptée au niveau du surfeur.

À Munich, sur un ancien parking proche de l’aéroport, O2 Surftown a ouvert ses portes en août 2024. Le bassin, vaste comme huit piscines olympiques, permet à une vingtaine de personnes de surfer simultanément. La taille des vagues varie selon les créneaux : petites ondulations pour les débutants le matin, rouleaux puissants pour les confirmés en fin de journée.

Ici, tout est calibré : température de l’eau, durée de la session, encadrement par des moniteurs diplômés. Chaque heure de surf coûte 89 euros matériel inclus, soit près du double d’un cours sur les plages atlantiques françaises. Un tarif élevé, mais justifié selon les exploitants par la sécurité, la stabilité des conditions et la garantie de vagues à chaque minute.

Une expérience calibrée et sans risques

Les surf parks séduisent un public urbain en quête d’adrénaline accessible. Finies les attentes interminables pour une vague, les risques de courant ou les chocs contre les rochers. Dans ces bassins, chaque session est minutée et chronométrée.

Les moniteurs comme Jessi, à Surftown Munich, veillent au grain :

“Soulevez le nez de la planche, sinon vous allez vous la prendre dans la figure !”
Le ton est bienveillant, l’ambiance conviviale. Entre deux vagues, les participants s’encouragent et profitent du confort des infrastructures : vestiaires chauffés, espace détente, snack bio et boutique de surf.

Sur les écrans géants qui surplombent le bassin, des vidéos de surfeurs professionnels vantent “la révolution du surf urbain”. L’expérience se veut immersive et premium, avec la promesse d’un surf “parfait”, loin des caprices de la nature.

Un modèle économique en plein essor

Depuis l’ouverture du premier Wavegarden en 2016 au Pays basque espagnol, le marché a explosé. Plus de 80 projets sont actuellement en développement dans le monde, dont une douzaine en Europe. En Australie et aux États-Unis, ces complexes sont déjà intégrés à des zones de loisirs comprenant hôtels, restaurants et espaces événementiels.

Le surf artificiel attire investisseurs et promoteurs. Il s’adresse à une clientèle jeune, connectée, en quête de loisirs “expérientiels”. La promesse : une pratique du surf sans contraintes géographiques, compatible avec les rythmes de la vie urbaine.

Mais le modèle reste coûteux. Le prix d’un surf park peut dépasser 30 millions d’euros, sans compter les dépenses énergétiques et de maintenance. Les exploitants misent sur la diversification des activités (cours, événements, stages, team buildings, festivals) pour rentabiliser leurs infrastructures.

En France, des projets encore freinés

En France, plusieurs projets ont tenté de voir le jour sans aboutir. À Castets, dans les Landes, un surf park privé avait suscité une levée de boucliers environnementale avant d’être suspendu. D’autres, comme ceux envisagés en Île-de-France ou en Bretagne, peinent à obtenir les autorisations administratives nécessaires.

Les opposants dénoncent un non-sens écologique : consommation d’eau importante, artificialisation des sols, consommation énergétique élevée. “Faire des vagues artificielles dans un pays bordé par 5 800 kilomètres de côtes, c’est une aberration”, ironise un militant écologiste landais.

Malgré cela, les investisseurs restent confiants. Selon un cabinet de conseil britannique, la France figure parmi les marchés les plus prometteurs d’Europe, grâce à son attrait touristique et à la popularité du surf.

Entre innovation technologique et controverse écologique

Les constructeurs de surf parks défendent un modèle “plus vert” qu’il n’y paraît. À Munich, l’eau du bassin est pompée dans la nappe phréatique, filtrée, puis récupérée et réinjectée. L’excédent est redirigé vers une rivière locale. Quant à l’énergie, elle est fournie en partie par des panneaux solaires installés sur le site.

Mais ces arguments peinent à convaincre les ONG environnementales, qui pointent la consommation énergétique continue des machines à vagues. Une installation moyenne consomme entre 5 et 10 mégawatts par heure d’utilisation, soit l’équivalent de la consommation électrique de plusieurs centaines de foyers.

Autre critique : l’impact sur les sols et les nappes phréatiques, notamment en période de sécheresse. Les projets implantés dans des zones déjà fragilisées hydrologiquement sont jugés “incompatibles avec les objectifs climatiques” de la France et de l’Union européenne.

Un loisir élitiste ?

Au-delà de la question écologique, la dimension sociale alimente le débat. Les surf parks restent des espaces payants et sélectifs, accessibles surtout aux classes moyennes et supérieures. À 89 euros la session, difficile d’en faire une activité populaire.

Pour certains observateurs, ces complexes symbolisent une marchandisation du surf, un sport historiquement associé à la liberté, à la nature et à l’esprit communautaire. “C’est la transformation d’une culture en produit de luxe”, regrette un ancien surfeur professionnel.

Les promoteurs répliquent en mettant en avant la sécurité, l’apprentissage encadré et la démocratisation de la pratique. “Nos surf parks permettent à des enfants et à des personnes éloignées des côtes de découvrir le surf dans de bonnes conditions”, défend le directeur d’un projet en cours près de Barcelone.

Un nouvel horizon pour le sport urbain

L’essor des surf parks illustre une tendance plus large : la transformation des sports de nature en expériences urbaines encadrées. Après les salles d’escalade, les simulateurs de ski et les vagues artificielles, la frontière entre sport, divertissement et business devient de plus en plus floue.

Les Jeux olympiques de Paris 2024 ont accéléré l’intérêt pour le surf comme discipline moderne et médiatique. La demande de lieux d’apprentissage accessibles, sûrs et spectaculaires devrait encore croître dans les années à venir.

Pour les investisseurs, le surf artificiel est donc un pari sur l’avenir. Pour les puristes, il marque la fin d’une époque — celle où il fallait attendre la marée, scruter l’horizon et se confronter à la nature pour goûter la vraie vague.

Une chose est sûre : entre innovation technologique, enjeux écologiques et mutations sociales, les surf parks incarnent le nouveau visage du surf, à mi-chemin entre la performance sportive et le loisir urbain. Reste à savoir si cette “vague parfaite” saura convaincre au-delà du marketing.