L’Assemblée nationale a tranché. Vendredi 7 novembre, les députés ont adopté en première lecture, dans le cadre du projet de budget de la Sécurité sociale pour 2026, une nouvelle taxe sur les boissons énergisantes alcoolisées. L’objectif : endiguer un phénomène qui inquiète autant les autorités sanitaires que les associations de prévention des addictions. Derrière cette mesure, une cible précise : les produits comme le Vody, mélange explosif de vodka et de boisson énergisante, déjà très populaire auprès des jeunes consommateurs.

Un cocktail à haut risque

Le Vody, produit par la société allemande Cody’s Drinks, est devenu en quelques mois le symbole d’une dérive marketing dangereuse. Sa composition interpelle : entre 18 et 22 % d’alcool pour une canette de 25 cl, soit trois à quatre fois plus qu’une bière classique, le tout associé à de la taurine, de la caféine et une forte teneur en sucre.

Vendu autour de 3,50 euros l’unité, il est présenté comme une boisson énergisante festive, à grand renfort de couleurs vives et de slogans attractifs. En réalité, il s’agit d’un produit hautement alcoolisé, dont le goût sucré masque la teneur réelle en éthanol, facilitant une surconsommation rapide – un phénomène connu sous le nom de binge drinking.

« Ce produit est un ovni », alerte Laurent Muraro, coordinateur général de la fédération Entraid’Addict. « Jusqu’ici, les jeunes mélangeaient eux-mêmes alcool et boisson énergisante. Désormais, le Vody leur facilite encore la tâche avec un produit prêt à l’emploi. »

Cette banalisation a conduit à des dérives inquiétantes. Un “Vody Challenge”, lancé sur les réseaux sociaux, incitait les participants à en boire le plus possible en un temps record. Plusieurs jeunes ont fini aux urgences pour coma éthylique, notamment aux Antilles, où la boisson est largement distribuée.

Une jeunesse particulièrement ciblée

Pour les parlementaires, il s’agit d’un « fléau contre la jeunesse », selon les mots du rapporteur général du budget de la Sécurité sociale, Thibault Bazin (Les Républicains). Les associations dénoncent un marketing agressif qui brouille les repères entre sodas et alcools forts.

Avec ses canettes colorées, ses slogans “vitaminés” et son packaging inspiré des boissons énergétiques populaires, le Vody attire en priorité les 16-25 ans, selon les données de France Assos Santé. « À première vue, on pourrait croire à un soda inoffensif. Mais la teneur en alcool est telle qu’elle provoque des états d’ébriété extrêmes », souligne Claude Philomin, président de France Assos Santé Guadeloupe-Guyane.

Le produit séduit également en Afrique et aux Antilles, où il s’impose comme une boisson “tendance”. Les autorités sanitaires locales alertent sur une hausse des comas éthyliques et des comportements à risque après consommation.

Une enquête ouverte sur les pratiques du fabricant

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a ouvert une enquête sur la commercialisation du Vody. En cause : un étiquetage trompeur. Le produit porte la mention “Energy Drink”, réservée aux boissons sans alcool. Or, au-delà de 15 % d’alcool, la réglementation impose la mention “boisson spiritueuse”.

Cette non-conformité a conduit à une enquête conjointe entre la France et l’Allemagne, pays de production du Vody. L’affaire illustre les zones grises de la législation européenne sur ces nouveaux produits hybrides, à la frontière entre boisson énergisante et spiritueux.

Une taxe pour combler un vide juridique

Jusqu’à présent, ces boissons échappaient à la taxe sur les “prémix”, instaurée en 1996 pour taxer les mélanges sucrés à base d’alcool (vodka, rhum, gin ou autres). L’amendement adopté par les députés vise à étendre cette taxe aux boissons alcoolisées contenant des substances excitantes telles que la caféine, la taurine ou la guaranine.

Cette mesure, déposée par le député Frédéric Valletoux (Horizons), ancien ministre de la Santé, corrige ce que les parlementaires qualifient de “lacune du dispositif actuel”. Le texte prévoit qu’un décret d’application fixera la liste des ingrédients concernés, permettant à l’administration de s’adapter rapidement si les fabricants modifient la composition de leurs produits pour contourner la loi.

Les recettes de cette taxe seront versées à la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), qui finance les politiques de prévention et de santé publique.

Un signal fort de santé publique

La mesure a reçu un avis de sagesse de la ministre de la Santé Stéphanie Rist, qui a reconnu que ces produits « visent particulièrement les jeunes » et nécessitent « un encadrement renforcé ». La ministre a toutefois rappelé que la priorité restait de mieux contrôler la vente d’alcool aux mineurs, déjà interdite par la loi.

Pour les défenseurs de la santé publique, cette taxe envoie un signal symbolique fort. Elle marque la volonté du législateur de réguler un marché émergent avant qu’il ne s’installe durablement. “Les fabricants exploitent le flou réglementaire pour vendre des produits dangereux sous couvert d’énergie et de fête”, explique une responsable de France Assos Santé.

L’objectif est double : freiner la consommation par le prix, comme pour le tabac ou les sodas, et responsabiliser les producteurs sur les risques liés à leurs campagnes marketing.

Un marché en pleine mutation

Ces dernières années, les boissons énergisantes alcoolisées connaissent une croissance fulgurante, notamment sur les plateformes en ligne. Les marques multiplient les collaborations avec des influenceurs et les événements festifs pour séduire les jeunes.

Leur succès repose sur un marketing de la performance et de la fête, qui associe endurance, dynamisme et euphorie. Une stratégie redoutable, mais trompeuse, selon les addictologues : la combinaison de stimulants (comme la caféine) et de dépresseurs (comme l’alcool) retarde la sensation d’ivresse, poussant les consommateurs à boire davantage sans s’en rendre compte.

Cette interaction physiologique peut provoquer des troubles cardiaques, des malaises, voire des comas éthyliques. Les autorités sanitaires rappellent que la mélange d’alcool et d’excitants est particulièrement dangereux pour les adolescents et les jeunes adultes.

Une régulation à renforcer

La France n’est pas le seul pays à s’attaquer à ce type de produits. Le Canada, l’Australie et plusieurs États américains ont déjà adopté des restrictions strictes sur les boissons énergisantes alcoolisées, allant jusqu’à interdire certains mélanges.

En France, cette nouvelle taxe n’est qu’un premier pas. Les associations demandent la mise en place d’un étiquetage clair, d’une interdiction de publicité ciblée sur les jeunes et d’un renforcement des contrôles dans les points de vente et sur internet.

Une prise de conscience politique

En adoptant cet amendement, l’Assemblée nationale acte un changement de ton : la lutte contre les produits à risque ne se limite plus aux cigarettes et aux sodas, mais s’étend désormais aux nouveaux cocktails industriels.

Les députés espèrent que cette taxe découragera la diffusion de boissons comme le Vody et servira de base à une régulation plus large du marché de l’alcool à destination des jeunes.

“L’idée n’est pas de moraliser, mais de protéger”, résume un élu de la majorité. “Nous ne pouvons pas laisser se développer des produits dont la seule finalité est de pousser les jeunes à consommer davantage d’alcool sous un vernis festif.”

Avec cette mesure, la France prend ainsi position dans un débat mondial sur la responsabilité des marques face à la santé publique, et tente de couper court à une dérive qui transforme le plaisir de boire en danger pour une génération entière.