La Cour des comptes vient de passer au crible les aides destinées à soutenir l’installation ou l’exercice des médecins dans les zones en tension. Elle dénonce un système éclaté, coûteux et souvent inefficace, et recommande une simplification ambitieuse, fondée sur un pilotage départemental et une meilleure lisibilité pour les professionnels.


Un système d’aides devenu trop dense et trop segmenté

L’analyse menée par la Cour montre d’abord un paysage particulièrement foisonnant. Au fil des années, l’État, l’Assurance maladie et les collectivités territoriales ont multiplié les dispositifs censés renforcer l’offre médicale dans les territoires sous-dotés. Subventions à l’installation, exonérations fiscales, contrats incitatifs, aides au maintien ou au développement de l’activité, contributions locales variables selon les communes ou les départements : l’ensemble compose un maquis réglementaire qui finit par décourager une partie des médecins. Le rapport publié le 13 novembre insiste sur le fait que cette dispersion n’est pas seulement un problème technique mais un frein majeur à l’efficacité globale des politiques publiques. Les médecins qui envisagent de s’installer dans une zone fragile doivent naviguer entre des aides étatiques, des contrats de l’Assurance maladie et un empilement d’initiatives locales, souvent méconnues, rarement harmonisées et parfois contradictoires.


Une montée en puissance des collectivités qui complique encore le paysage

Le phénomène le plus marquant des cinq dernières années, selon la Cour, est l’implication massive des départements. Ce qui n’était qu’une exception est devenu une norme. Là où seuls trois départements proposaient un soutien financier à l’installation en 2019, ils sont désormais soixante à engager des fonds publics pour tenter de faire venir des médecins sur leur territoire. Certaines régions ont également intensifié leurs dispositifs, créant une superposition qui échappe à tout pilotage national. Cette dynamique traduit la gravité de la situation démographique et la pression croissante des habitants sur les élus locaux. Mais elle génère aussi un effet pervers : chaque collectivité agit seule, souvent dans l’urgence, avec des modalités différentes, sans coordination avec les dispositifs existants. La Cour note que certains territoires cumulent désormais des aides nombreuses mais redondantes, tandis que d’autres restent insuffisamment accompagnés. Le résultat est un déséquilibre peu lisible qui fait dépendre l’accès aux soins de la capacité financière et de la stratégie politique de chaque territoire.


Des coûts élevés pour une efficacité encore mal mesurée

L’un des points centraux du rapport concerne l’absence de véritable évaluation de l’efficacité des aides. Si l’effort financier est incontestable, son impact réel sur l’installation durable des médecins l’est beaucoup moins. La Cour regrette que les données disponibles ne permettent pas de mesurer précisément ce qui fonctionne et ce qui relève davantage d’un affichage politique. Certaines aides, notamment celles liées à l’installation, bénéficient parfois à des professionnels qui exercent déjà dans le département ou qui ne restent pas suffisamment longtemps pour que l’effet soit durable. D’autres dispositifs, plus coûteux car intégrant des subventions importantes, ne montrent pas d’effet significatif sur la densité médicale locale. L’absence de critères d’évaluation partagés empêche tout ajustement structuré et entretient une logique de dispersion des financements.


Une nécessaire clarification pour redonner de la cohérence à l’action publique

Face à ce constat, la Cour appelle à une réforme organisationnelle majeure. Elle propose de placer le pilotage de ces aides au niveau départemental, en confiant aux préfets et aux conseils départementaux une responsabilité partagée de coordination. Ce niveau territorial, jugé suffisamment proche du terrain pour comprendre les besoins, serait responsable d’un recensement exhaustif des dispositifs, d’une harmonisation des règles et d’une meilleure articulation avec l’Assurance maladie. La Cour insiste également sur la nécessité de simplifier la présentation des aides pour les médecins, qui doivent pouvoir identifier rapidement ce à quoi ils sont éligibles. L’objectif est de substituer à une logique d’accumulation une stratégie cohérente, ciblée et lisible. La recommandation repose sur l’idée qu’un dispositif clair, stable et évalué régulièrement aura davantage d’impact qu’une multitude de mesures isolées.


Une stratégie à reconstruire pour répondre aux fractures territoriales

Au-delà des questions administratives, le rapport met en lumière le défi structurel auquel sont confrontés les territoires. Le vieillissement démographique des médecins, la difficulté à attirer les jeunes praticiens vers certaines zones rurales ou périurbaines et l’augmentation des besoins de santé obligent à repenser en profondeur la politique d’implantation médicale. La Cour rappelle que les aides financières ne peuvent jouer pleinement leur rôle que si elles s’inscrivent dans un environnement attractif, incluant des conditions de travail stables, une organisation coordonnée des soins, des infrastructures adaptées et des facilités offertes aux familles. Elle souligne enfin que la simplification des aides n’est qu’un levier parmi d’autres et qu’un véritable rééquilibrage territorial nécessitera un effort collectif, associant élus locaux, administrations, professionnels de santé et citoyens.