Un symbole de l’épargne française à nouveau sous pression

L’assurance-vie, placement préféré des Français depuis des décennies, se retrouve de nouveau dans la tourmente. Deux amendements au projet de Budget 2026 remettent sur la table la question sensible de sa fiscalité. L’un, porté par un député socialiste, propose d’augmenter les prélèvements sociaux sur l’ensemble des revenus de placement. L’autre, défendu par le groupe centriste du Modem, souhaite élargir le champ de l’impôt sur la fortune aux actifs dits « improductifs ». Ces propositions, qui visent à alimenter les caisses de l’État, provoquent déjà de vives réactions, aussi bien du côté des épargnants que des professionnels du secteur.
Ces textes, encore au stade du débat parlementaire, soulèvent une question cruciale : le Budget 2026 marquera-t-il le début d’une fiscalité plus lourde sur l’assurance-vie ?
Entre besoin de recettes publiques et crainte d’affaiblir un pilier de l’épargne nationale, le gouvernement marche sur une ligne de crête.
Une hausse de la CSG pour financer la Sécurité sociale
Le premier amendement, déposé par le député Jérôme Guedj, cible la Contribution sociale généralisée (CSG). Le taux actuel, fixé à 9,2 %, serait relevé à 10,6 %, soit une augmentation de 1,4 point. Cette hausse concernerait l’ensemble des revenus du capital : intérêts, dividendes, plus-values mobilières et produits d’assurance-vie.
L’objectif affiché est clair : dégager 2,6 milliards d’euros de recettes supplémentaires pour la Sécurité sociale. Ces fonds serviraient notamment à compenser les coûts de la suspension partielle de la réforme des retraites. En pratique, cette mesure porterait la fiscalité globale sur les placements financiers de 30 à 31,4 %.
Cette idée de ponction supplémentaire s’inscrit dans un contexte budgétaire tendu. L’État cherche des marges de manœuvre pour contenir son déficit et stabiliser la dette. Le gouvernement multiplie donc les pistes pour taxer davantage le capital, considéré comme un levier de financement immédiat.
Mais une telle décision pourrait peser sur la confiance des épargnants. L’assurance-vie, déjà affectée par l’inflation et la remontée des taux, a retrouvé un équilibre fragile. Toucher à sa fiscalité pourrait relancer une vague de retraits ou de transferts vers d’autres produits défiscalisés, comme le plan d’épargne retraite ou le livret réglementé.
Une mesure contestée jusque dans la majorité
L’idée d’une hausse de la CSG sur les placements fait débat jusque dans les rangs de la majorité. Certains élus soulignent qu’une telle mesure touche indistinctement tous les épargnants, quel que soit leur niveau de revenu. Contrairement à un impôt progressif, la CSG frappe au taux unique, sans distinction entre les patrimoines modestes et les plus aisés.
De nombreux parlementaires craignent ainsi un effet pervers sur la classe moyenne, principale détentrice de contrats d’assurance-vie. En France, plus de 18 millions de personnes en possèdent un, souvent pour préparer leur retraite ou transmettre un capital familial. Une hausse de la CSG de 1,4 point représenterait une perte de rendement annuelle non négligeable.
Les défenseurs du texte affirment cependant qu’il s’agit d’un effort de solidarité nécessaire. Le système de protection sociale, sous tension, a besoin de nouvelles recettes pour faire face au vieillissement de la population et à l’augmentation des dépenses de santé.
Pour l’heure, l’exécutif reste silencieux. Le gouvernement n’a pas encore indiqué s’il soutiendrait cet amendement, préférant attendre la fin de la discussion budgétaire. Mais dans les couloirs de Bercy, on reconnaît que la tentation de faire contribuer davantage le capital est bien réelle.
Un second amendement ciblant les patrimoines élevés
Le deuxième amendement, proposé par le Modem, adopte une approche différente. Il ne vise pas à taxer tout le monde, mais à élargir le champ de l’impôt sur la fortune. L’idée : transformer l’actuel impôt sur la fortune immobilière (IFI) en un impôt sur la fortune improductive (IFI élargi).
Ce nouveau dispositif concernerait environ 500 000 ménages, dont le patrimoine dépasse 1,3 million d’euros. L’assiette ne se limiterait plus à l’immobilier, mais engloberait aussi les actifs considérés comme non productifs pour l’économie. Parmi eux : les résidences secondaires, les yachts, les objets d’art, mais aussi les fonds en euros des contrats d’assurance-vie.
Pour ses auteurs, cette extension permettrait de cibler une épargne jugée passive, qui ne finance pas directement l’investissement productif. L’objectif est de réorienter les capitaux vers l’économie réelle, tout en renforçant l’équité fiscale. Les partisans de la mesure estiment que les détenteurs de gros contrats d’assurance-vie bénéficient d’un traitement trop favorable par rapport à d’autres placements.
Une levée de boucliers chez les assureurs et les épargnants
L’annonce de ces propositions a immédiatement suscité la réaction des professionnels du secteur. France Assureurs, la principale fédération de compagnies d’assurance, rappelle que l’assurance-vie n’est pas un produit réservé aux riches. Plus de la moitié des contrats ont un encours inférieur à 10 000 euros. Pour l’organisation, cette épargne constitue avant tout un outil de précaution et de transmission, et non un instrument spéculatif.
Selon elle, une fiscalité plus lourde risquerait de casser la dynamique de collecte observée depuis le début de 2025. L’assurance-vie a retrouvé un net regain d’intérêt, grâce à la hausse des rendements des fonds en euros. Son encours total dépasse aujourd’hui 2 080 milliards d’euros, soit plus de quatre fois le volume du Livret A.
Les assureurs redoutent qu’une telle réforme provoque un effet d’éviction massif vers des produits plus simples et moins taxés. Cela pourrait fragiliser le financement de long terme des entreprises et de la dette publique, dont l’assurance-vie reste un acteur central.
Du côté des épargnants, la colère monte également. Beaucoup estiment être devenus une variable d’ajustement budgétaire. Pour eux, l’assurance-vie représente une forme d’autonomie financière, souvent constituée au prix d’efforts constants. Voir ce placement menacé par de nouvelles taxes alimente un sentiment d’injustice.
Un produit d’épargne populaire et structurant
L’assurance-vie occupe une place unique dans le paysage financier français. Elle sert à la fois de placement, d’assurance et de transmission patrimoniale. Sa souplesse et son avantage fiscal en font un outil central de gestion du patrimoine pour les ménages de toutes catégories.
Historiquement, ce produit a contribué à stabiliser l’épargne nationale et à financer l’économie réelle. Les compagnies investissent une grande partie des fonds collectés dans les obligations d’État et les entreprises françaises. Cette fonction de levier économique explique la prudence de nombreux économistes face à toute modification de sa fiscalité.
L’assurance-vie remplit aussi un rôle psychologique fort. Elle offre un cadre rassurant, flexible et transmissible. Modifier ses règles de taxation risquerait de rompre un pacte de confiance construit depuis plus de quarante ans entre l’État et les épargnants.
Une tension entre équité et stabilité
Les deux amendements traduisent une tension ancienne entre justice fiscale et stabilité économique. D’un côté, l’État cherche à faire contribuer davantage les détenteurs de capitaux. De l’autre, il redoute d’affaiblir un pilier de la finance française.
Les fiscalistes rappellent que l’assurance-vie a déjà été réformée à plusieurs reprises. Le prélèvement forfaitaire unique, instauré en 2018, a simplifié la taxation des revenus du capital à un taux global de 30 %. Cette réforme visait justement à rendre la fiscalité plus lisible et compétitive. Revenir sur cet équilibre pourrait brouiller les repères et dissuader l’épargne de long terme.
Les économistes soulignent également un risque de double peine. En alourdissant les prélèvements sur les contrats existants, l’État pourrait pénaliser ceux qui ont choisi la prudence plutôt que la spéculation. Ce signal négatif nuirait à la crédibilité de la politique de stabilité fiscale, pourtant mise en avant depuis plusieurs années.
Une équation budgétaire complexe
Le Budget 2026 s’annonce comme un exercice d’équilibrisme. Le gouvernement doit concilier discipline budgétaire et maintien de la confiance des ménages. Augmenter les impôts sur l’épargne permettrait de dégager rapidement des ressources, mais au prix d’une possible défiance généralisée.
Les économistes rappellent que la France se distingue déjà par un taux d’épargne élevé, autour de 17 % du revenu disponible. Une fiscalité plus lourde sur les placements pourrait inciter les ménages à conserver leur argent sur des comptes à vue, au lieu de le mobiliser pour financer l’économie.
À long terme, ce retrait de l’épargne investie pourrait freiner la croissance. Le capital ainsi immobilisé ne profiterait ni aux entreprises ni aux marchés financiers. C’est pourquoi de nombreux experts appellent à la prudence avant de modifier encore la fiscalité de l’assurance-vie.
Des signaux contradictoires envoyés aux ménages
Ces débats arrivent à un moment où l’épargne reprend des couleurs. Après deux années marquées par l’inflation, les Français recommencent à placer leur argent. Les taux de rendement des fonds en euros, en hausse depuis 2024, ont ravivé l’intérêt pour l’assurance-vie.
Envisager une fiscalité plus lourde à ce moment précis pourrait casser cette dynamique. Les ménages risquent de reporter leur épargne vers des produits défiscalisés, comme le Livret A ou le LDDS. Ces produits, bien que sécurisés, rapportent moins et contribuent peu au financement de long terme.
Les professionnels craignent un cercle vicieux : une fiscalité accrue, une épargne détournée, une baisse des recettes, puis une nouvelle pression fiscale. Ce scénario, déjà observé dans le passé, pourrait se reproduire si les amendements venaient à être adoptés sans ajustement.
Entre justice sociale et cohérence économique
Le débat autour de la fiscalité de l’assurance-vie illustre les contradictions de la politique économique française. Les décideurs cherchent à rendre le système plus équitable, mais chaque ajustement risque d’en fragiliser l’équilibre.
Pour certains parlementaires, il est logique que les revenus du capital participent davantage à l’effort collectif, surtout dans un contexte de déficit. Pour d’autres, cette approche ignore le rôle stabilisateur de l’épargne. L’assurance-vie n’est pas un signe de richesse, mais souvent une assurance contre l’incertitude de l’avenir.
Les compromis seront difficiles à trouver. Le gouvernement pourrait tenter d’aménager les seuils ou d’introduire une progressivité partielle, afin de préserver les petits épargnants tout en faisant contribuer les plus aisés.
Mais rien n’est encore tranché. Les discussions budgétaires s’annoncent tendues, et le sort fiscal de l’assurance-vie dépendra autant de la politique que de la comptabilité.
En conclusion
L’assurance-vie, longtemps considérée comme un refuge stable et intouchable, se retrouve une fois encore au centre des débats budgétaires. Entre la hausse envisagée de la CSG et la création d’un impôt sur la fortune improductive, le Budget 2026 pourrait bien marquer un tournant dans la fiscalité de l’épargne française.
Ces mesures, si elles étaient adoptées, modifieraient profondément la perception des placements à long terme. Les Français, déjà prudents face à l’avenir, pourraient voir dans ces signaux contradictoires une raison supplémentaire de se méfier du cadre fiscal.
Pour l’heure, la prudence domine. Le gouvernement avance sans trancher, conscient qu’il joue sur un équilibre fragile entre équité et confiance. Mais une chose est sûre : l’assurance-vie, pilier de l’épargne nationale, reste un terrain politique hautement inflammable. Et dans un contexte où chaque euro compte, elle pourrait de nouveau devenir le symbole d’une France partagée entre effort collectif et protection du patrimoine.


