Un territoire rural choisi comme laboratoire
La mobilité durable n’est plus l’apanage des grandes métropoles. Dans le Finistère, la communauté de communes du pays de Landivisiau s’impose désormais comme un terrain d’expérimentation unique en France. En partenariat avec la SNCF et son programme d’innovation Tech4Mobility, deux projets pilotes y sont déployés depuis 2024. Objectif : inventer des solutions concrètes pour réduire la dépendance à la voiture individuelle en milieu rural.
Ce choix n’est pas anodin. Le territoire de Landivisiau, composé de 19 communes et de près de 28 000 habitants, cumule toutes les caractéristiques de la France rurale contemporaine : distances importantes entre les villages, absence de transport collectif structuré, et nécessité absolue de posséder un véhicule pour accéder aux services essentiels.
Pour la SNCF, il s’agit de tester, grandeur nature, des dispositifs de mobilité locale capables d’être reproduits ailleurs. En ciblant un territoire rural, l’entreprise ferroviaire veut prouver que l’innovation en matière de transport n’a pas vocation à s’arrêter aux frontières urbaines.
Une coopération inédite avec la collectivité locale

C’est au début de l’année 2022 que la SNCF a pris contact avec la communauté de communes. L’objectif était de trouver un territoire « typiquement rural », confronté à un usage quasi exclusif de la voiture. Rapidement, le pôle aménagement de la collectivité, dirigé par Yann Lucas, a répondu présent.
« La SNCF cherchait un territoire prêt à jouer le jeu, explique-t-il. Nous avons accepté car la mobilité est un enjeu majeur pour nos habitants. Les solutions testées ici pourront ensuite inspirer d’autres collectivités rurales. »
Ce partenariat s’appuie sur une logique simple : associer la connaissance fine du territoire à l’expertise technique de la SNCF. La communauté de communes met à disposition ses données, ses relais locaux et sa capacité à mobiliser les habitants. La SNCF, de son côté, apporte son savoir-faire en ingénierie de mobilité et en innovation numérique.
Ensemble, ils ont identifié deux axes d’expérimentation : le dispositif Actimob, et la création de stations rurales des mobilités, installées dans deux communes volontaires, Plouzévédé et Guimiliau.
Actimob : repenser les trajets du quotidien
Premier projet à voir le jour, Actimob vise à transformer la manière dont les habitants organisent leurs déplacements. Le principe est simple : identifier les trajets réguliers, souvent réalisés seul en voiture, et proposer des alternatives plus durables et partagées.
L’expérimentation s’appuie sur une plateforme numérique développée par la SNCF, capable de croiser les données de mobilité locale : lieux de résidence, zones d’activité, écoles, commerces et services publics. En analysant ces flux, l’outil met en évidence les zones où le covoiturage, les navettes locales ou le vélo électrique pourraient remplacer l’autosolisme.
Les habitants sont invités à participer en renseignant leurs habitudes de déplacement. Ces informations anonymisées servent à concevoir des itinéraires optimisés. L’objectif n’est pas d’imposer, mais d’accompagner le changement.
Actimob ne se limite pas à la technologie. Des animateurs de mobilité formés localement vont à la rencontre des habitants, organisent des ateliers, et expliquent les bénéfices concrets : économies de carburant, gain de temps, réduction des émissions.
Les stations rurales des mobilités : un concept novateur
Le second dispositif, baptisé « stations rurales des mobilités », est tout aussi ambitieux. Il repose sur la création de points physiques d’échange et de service, installés dans les communes de Plouzévédé et Guimiliau.
Ces stations se présentent comme des espaces hybrides, à mi-chemin entre une gare de village et un pôle de vie locale. On y trouve des bornes de recharge pour vélos électriques, des casiers de dépôt pour le covoiturage, un abri pour les usagers des transports collectifs et des outils de maintenance partagée.
Au-delà des équipements, ces lieux sont conçus comme des espaces de rencontre et d’information. Les habitants peuvent y consulter les offres de transport disponibles, réserver un véhicule en autopartage ou se renseigner sur les horaires des trains et bus régionaux.
L’idée est de recréer, dans les territoires peu denses, une centralité de la mobilité, là où les services publics ont souvent disparu. Les stations deviennent ainsi des relais de proximité pour toutes les initiatives liées aux transports durables.
Des communes pilotes pleinement impliquées
Les deux communes choisies pour accueillir l’expérimentation, Plouzévédé (1 860 habitants) et Guimiliau (1 000 habitants), ont été sélectionnées pour leur profil représentatif du tissu rural breton. Toutes deux sont éloignées des grands axes ferroviaires et dépendent largement de la voiture individuelle.
Leur maire respectif a immédiatement accepté de participer. À Plouzévédé, la station a été installée à proximité du bourg, sur un terrain communal. À Guimiliau, le projet s’est intégré à la rénovation d’un ancien bâtiment public.
Ces sites sont pensés pour évoluer. Des modules complémentaires peuvent être ajoutés : bornes de recharge, espace vélo, mini-bibliothèque, point relais colis. L’idée est d’ancrer la mobilité durable dans le quotidien des habitants, sans la déconnecter des autres usages du territoire.
Un nouveau visage pour la mobilité rurale
Pour la communauté de communes, ces expérimentations marquent une rupture culturelle. Longtemps perçue comme un problème exclusivement urbain, la mobilité devient un levier d’attractivité et de cohésion pour les campagnes.
Les premières observations montrent une réelle curiosité de la population. Les ateliers d’information attirent de nombreux habitants, souvent soucieux de réduire leurs dépenses de carburant. Les plus jeunes voient dans ces projets une opportunité d’autonomie, tandis que les seniors y trouvent un moyen de maintenir leur mobilité sans dépendre d’autrui.
Les stations rurales, par leur aspect convivial et fonctionnel, changent aussi l’image du territoire. Elles symbolisent une ruralité innovante, capable de s’adapter aux transitions en cours.
Une stratégie alignée avec la transition écologique
L’expérimentation menée à Landivisiau s’inscrit pleinement dans les objectifs nationaux de transition énergétique. Le secteur des transports représente près de 30 % des émissions de gaz à effet de serre en France. En milieu rural, cette proportion est encore plus élevée, faute d’alternatives à la voiture thermique.
En promouvant des modes de déplacement plus sobres, la SNCF et la communauté de communes participent à la réduction de l’empreinte carbone. Le recours au vélo, à l’autopartage et aux transports collectifs allège la pression environnementale tout en améliorant la qualité de vie locale.
Cette démarche rejoint également la volonté du gouvernement de soutenir des projets territoriaux d’innovation pour la mobilité durable (PTIMD). Ces initiatives locales servent de modèles reproductibles, destinés à inspirer d’autres collectivités.
L’innovation au service du lien social
Au-delà des questions environnementales, le projet vise à retisser du lien social dans des zones parfois marquées par l’isolement. En favorisant les trajets partagés, les échanges et la mutualisation des ressources, la mobilité devient un vecteur de solidarité.
Les stations rurales incarnent ce changement. Elles redonnent vie à des espaces parfois délaissés, recréant un sentiment d’appartenance communautaire. Pour de nombreux habitants, elles sont devenues des lieux de rencontre, d’entraide et d’échange d’informations.
L’approche participative du projet renforce cette dynamique. Les citoyens ne sont pas de simples usagers, mais des acteurs impliqués. Leurs retours servent à ajuster les dispositifs et à imaginer de nouvelles fonctionnalités.
Un modèle économique à consolider
Si l’expérimentation suscite un large enthousiasme, son modèle économique reste à affiner. L’installation et la maintenance des stations, la gestion des plateformes numériques et l’animation des services nécessitent des moyens financiers et humains.
Pour l’instant, le projet repose sur un partenariat équilibré : la SNCF apporte l’ingénierie et les outils numériques, la communauté de communes assure la coordination locale, et la région Bretagne contribue au financement.
Mais la question de la pérennisation se pose déjà. Si les résultats sont concluants, il faudra trouver des relais financiers pour déployer le dispositif à grande échelle. Des discussions sont en cours pour associer les entreprises locales, les intercommunalités voisines et les structures de l’économie sociale et solidaire.
Des résultats prometteurs après un an de test
Après un an de fonctionnement, les premiers bilans sont encourageants. Le taux d’utilisation des plateformes de mobilité progresse chaque mois. Le covoiturage domicile-travail connaît un regain d’intérêt, notamment dans les zones artisanales de Landivisiau.
Les usagers témoignent d’une réduction de leurs coûts de déplacement et d’une amélioration du confort de vie. Les collectivités constatent de leur côté une baisse du trafic sur certains axes secondaires, signe que les comportements commencent à évoluer.
Les données recueillies par la SNCF permettront de modéliser l’impact environnemental et social du projet. Ces indicateurs serviront à ajuster les dispositifs avant leur éventuelle généralisation à d’autres territoires ruraux.
Une ambition nationale pour la ruralité
Le projet de Landivisiau n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une réflexion plus large sur la place de la mobilité durable dans les territoires non urbains. Depuis plusieurs années, la SNCF multiplie les initiatives locales pour tester de nouveaux modèles d’accès à la mobilité.
Ces expériences contribuent à faire émerger une vision nouvelle de la ruralité, où innovation et durabilité ne sont plus incompatibles. Les campagnes deviennent des espaces d’expérimentation sociale et technologique, capables d’inventer des solutions adaptées à leurs spécificités.
En Bretagne comme ailleurs, ces démarches démontrent que la transition écologique ne se résume pas à l’électrification des trains ou des voitures. Elle passe aussi par une meilleure organisation collective des déplacements et une réappropriation du territoire.
En conclusion
L’expérimentation menée sur le territoire de la communauté de communes du pays de Landivisiau illustre une réalité souvent ignorée : la mobilité durable peut, elle aussi, partir en campagne.
Grâce à la coopération entre la SNCF, les collectivités locales et les habitants, un nouveau modèle de mobilité rurale voit le jour. Fondé sur la proximité, la sobriété et la participation citoyenne, il répond à des enjeux économiques, environnementaux et sociaux.
Si le projet se confirme, il pourrait devenir un prototype national de mobilité durable en milieu rural, reproductible dans d’autres régions. En attendant, Plouzévédé et Guimiliau poursuivent leur rôle de pionniers, prouvant qu’un territoire de campagne peut être à la pointe de l’innovation écologique.
Dans un contexte où chaque kilomètre parcouru compte, la réussite de Landivisiau montre que la transition écologique commence là où on l’attend le moins : sur les routes tranquilles de nos villages.


