Dans un rapport publié le 21 janvier, le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) préconise la suppression pure et simple des 36 600 communes de France pour les intégrer au sein des intercommunalités. Cette proposition relève-t-elle de l’utopie ou du bon sens ?
C’est la journaliste du site internet de Public Sénat Natacha Gorwitz qui, dans un article du vendredi 6 février, a pointé du doigt ce rapport de la CGET passé quelque peu inaperçu. Un rapport dont le contenu est pourtant de nature à alimenter un vif débat sur le territoire français. Nos compatriotes, mais aussi la grande majorité des élus locaux, sont en effet, pour des raisons souvent très différentes – et pas toujours avouables pour les élus –, attachés à la structure de base de notre tissu administratif : la commune.
C’est en mars 2014 que la CGET a été mise en place sous la tutelle du Premier ministre. Une structure qui, dès le mois de juin de la même année, a été mandatée par Matignon pour, écrit Natacha Gorwitz, « apporter son expertise sur les pistes de ʺrationalisation des intercommunalitésʺ, l’un des objectifs du projet de loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (Loi NOTRe). »
Que dit, dans le cadre de la nouvelle organisation territoriale qu’entend promouvoir le gouvernement de Manuel Valls, le projet de Loi NOTRE concernant les communes ? Ce texte préconise de « renforcer les intercommunalités », celles-ci, « organisées autour de bassins de vie » étant appelées à passer progressivement du seuil existant de 5 000 habitants à un seuil de 20 000 habitants. Pour mémoire, rappelons qu’au 1er janvier, il existait 2 145 Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre répartis ainsi : 1 métropole, 15 communautés urbaines, 222 communautés d’agglomération, 1 903 communautés de communes et 4 syndicats d’agglomération nouvelle. À cette date, seules 49 communes restaient à l’écart de toute intégration.
S’il est adopté, le nouveau seuil de 20 000 habitants devrait avoir des répercussions pour près de 14 millions de Français qui vivent actuellement dans des intercommunalités dont la population est inférieure à ce plancher. Comme l’on pouvait s’y attendre, la forte hausse du seuil n’a pas manqué de susciter de vives oppositions au Sénat dont les élus sont directement dépendants du vote des grands électeurs. En conséquence de quoi, un amendement, voté par les sénateurs, a rejeté cette disposition dans le texte de la Loi NOTRe votée le 27 janvier 2015. L’affaire est-elle terminée pour autant ? Non, car ce texte de loi est désormais débattu à l’Assemblée nationale où cette disposition a été réintroduite le 4 février en commission des Lois, avant d’être soumise prochainement au vote des députés.
Y aura-t-il des dérogations au seuil envisagé pour les régions à faible population ? Oui, répond le rapporteur PS Olivier Dussopt : un amendement voté par la commission des Lois indique que le seuil de 20 000 habitants pourra être abaissé lorsque les intercommunalités seront situées « dans des zones de montagne ou des espaces géographiques isolés, tels que les îles ou les archipels ». À titre d’exemple, M. Dussopt précise que ce seuil pourrait ainsi être abaissé à 2 900 habitants dans les zones les moins peuplées de Lozère, ou à 7 000 habitants dans certaines parties des départements corses.
40 % des communes de l’Union européenne
En réalité, le rapport de la CGET va plus loin : il préconise que le nombre des intercommunalités soit progressivement ramené à moins de 1 000 sur le territoire, soit moins de la moitié du nombre actuel. Objectif : aller plus loin encore dans la mutualisation des recettes des collectivités locales et la rationalisation des coûts de fonctionnement, tout en facilitant les démarches d’aménagement du territoire. Ce n’est évidemment pas absurde, et l’on peut même penser que, tôt ou tard, l’on ira vers des concentrations de ce type, probablement concomitantes avec de nombreuses fusions de communes. N’oublions pas, à cet égard, que la France compte à elle seule 40 % des communes des 27 pays de l’Union européenne ! Or, ces pays ne fonctionnent pas moins bien que le nôtre, malgré un tissu administratif nettement plus simplifié, et pourtant très souvent plus efficace. C’est pourquoi il va sans aucun doute dans le sens de l’histoire que le processus de fusion des communes soit accéléré par le transfert d’une partie croissante des dotations de l’Etat des communes vers les intercommunalités.
Sans doute faut-il s’attendre, ici et là, à des oppositions fortes des populations contre une réforme des collectivités locales qui bouscule le vécu des administrés et leur sentiment d’identité. L’expérience montre pourtant, en des lieux où des fusions ont d’ores et déjà été menées à bien, que les administrés, après avoir été réticents à dépendre d’un chef-lieu communal différent de celui qu’ils ont toujours connu, en ont parfaitement compris l’intérêt lorsque les arguments économiques leur ont été présentés de manière objective par des élus progressistes, peu soucieux de s’accrocher à des écharpes tricolores pour satisfaire leur orgueil personnel.
L’intérêt des habitants des communes qui fusionnent est évidemment, comme cela a été souligné plus haut, dans la mutualisation, notamment dans les petites communes rurales où le nombre des administrés est souvent si bas qu’il n’a plus aucun sens dans un pays régi par des dizaines de milliers de lois, de décrets et autres textes réglementaires qui nécessitent toujours plus d’expertise de la part des élus. Et cela d’autant plus que les coûts fixes sont proportionnellement plus importants dans les micro-communes que dans des communes de taille plus importante.
En France, environ 27 000 communes comptent moins de 1 000 habitants, dont 18 000 moins de 500 habitants, et près de 6 000 moins de 200 habitants ! Or, que se passe-t-il dans ces communes principalement rurales ? Les exploitations agricoles meurent les unes après les autres. Toutes ? Non, car subsistent celles dont les exploitants ont eu la sagesse de s’associer au sein des GAEC, précisément pour mutualiser leurs équipements et leurs ressources afin de rationaliser leurs coûts de fonctionnement. Cet exemple agricole, de très nombreux habitants des micro-communes l’ont sous les yeux et comprennent peu à peu que c’est dans cette voie qu’il faut aller pour moderniser la gestion administrative du territoire. L’évolution des esprits n’en reste pas moins lente. Chez les plus anciens du moins, car chez les jeunes, l’on a compris que, comme le chantait naguère Bob Dylan, « The Times, They Are A-Changin’ » : les temps sont en train de changer !